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L’Émission de l’obligation municipale à Dakar : Le Conte de Deux Cités

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La croissance des grandes villes d’Afrique est si rapide que les gouvernements centraux et municipaux s’en trouvent accablés. Il y a un manque de planification stratégique ; des lacunes dans la prestation de services de base aux résidents s’élargissent de plus en plus. Depuis les années 90, une décentralisation généralisée a beaucoup fait pour transférer la responsabilité de l’urbanisation aux autorités locales, alors qu’elles ne reçoivent qu’une part modique du revenu intérieur avec laquelle elles doivent s’acquitter de leurs responsabilités.1 Certaines autorités municipales – diligentes et proactives – sont en train d’étudier des moyens pour améliorer la génération des revenus ainsi que les possibilités de diversifier les sources de financement. Selon le contexte légal et réglementaire, l’appétit des investisseurs, ainsi que la solvabilité des emprunteurs et des projets d’investissement proposés, les obligations municipales seraient peut-être un mécanisme de financement valable pour certaines capitales d’Afrique. Ce Briefing Note décrit la tentative de la Ville de Dakar, capitale du Sénégal, de lancer la première obligation municipale de l’UEMOA (l’Union économique et monétaire ouest-africaine), tout en évaluant les répercussions du blocage de cette initiative par le gouvernement central.


Capitale contestée

Pendant les années 2000, le Président Abdoulaye Wade cherchait à promouvoir Dakar en tant qu’une destination importante d’investissements. Un vaste programme de construction avait créé alors des routes, des centres commerciaux, des hôtels, ainsi que des créations plus controversées : le Monument de la Renaissance africaine, la Porte du Millénaire… En 2008, Dakar a accueilli le Sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI). Commencent alors des travaux pour créer un nouvel aéroport international. La grande vision de Wade évoquait celle du Président Léopold Sédar Senghor, faisant écho aux années 60.

La plupart des Dakarois ne voyaient pas les avantages de cette nouvelle infrastructure. « Les routes ne se mangent pas » affirmait-on souvent à Dakar, ville où seulement une personne sur cinq trouvait un emploi à temps plein. La pénurie chronique d’emplois et de logements abordables, émeutes de la faim, services de transports inadéquats et embouteillages, inondations, gestion erratique des déchets, conduites d’égout cassées, pannes de courant fréquentes… Tels sont les traits de l’« autre » Dakar. En ce qui concerne les bidonvilles et les colonies de squatters où vivent 40 % de la population – ainsi que dans de nombreuses zones d’entreprises et de logements formels – l’Etat reste largement inefficace. Pour Amadou Diop, professeur de géographie, les « caractéristiques clés » de sa ville seraient « la croissance effrénée, l’occupation désorganisée et déséquilibrée des terres, une crise manifeste, et un environnement en déclin ».2

En 2009, Khalifa Sall du Parti Socialiste a été élu Maire de Dakar, délogeant alors un allié de Wade. Sall a promis d’améliorer la ville – surtout pour les habitants les plus défavorisés – et de garantir une plus grande participation du public dans les affaires de la ville. Réélu en 2014, Khalifa Sall était vu comme le porte-drapeau de la participation active des gouvernements locaux à travers l’Afrique, en tant que secrétaire général de l’Association internationale des maires francophones (AIMF) et président de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA). En 2012, Dakar a accueilli le Sommet Africités, la réunion triennale de CGLUA qui rassemble des milliers d’experts et de fonctionnaires venus des quatre coins du continent. D’ailleurs, Khalifa Sall a insisté sur l’adoption d’une Charte africaine du gouvernement local, tout en exigeant la création d’un Conseil supérieur de l’union africaine des autorités locales. Aux yeux de Sall, il fallait que ce soient les plus proches de la population – c’est-à-dire, les autorités locales – qui constituent le moteur du développement favorable aux défavorisés, sinon celui-ci ne se réalisera jamais.

Dakar est depuis longtemps le champ de bataille principal où s’affrontent des intérêts commerciaux et politiques. Par exemple, au début du mandat du maire, entre son administration et Wade éclate un conflit a éclaté sur la gestion des déchets dans la capitale. En cas d’inondations, l’on discute invariablement la responsabilité de remédier aux dégâts. Si Khalifa Sall et le président actuel, Macky Sall, se sont unis pour renverser Wade, et que les deux ont souvent exprimé leur volonté de collaborer pour le bien de Dakar, ils restent quand même des adversaires politiques. Lorsque les partis politiques s’affrontent, comme au cours des élections locales de 2014, cette rivalité est d’une pertinence primordiale. Dans la perspective du rythme et de l’efficacité du développement de la capitale du Sénégal, le programme de décentralisation joue un rôle également important.

Confusion de pouvoirs

Le Code des Collectivités Locales du Sénégal (1996) a été élaboré dans le but d’apaiser les adversairespolitiques du gouvernement d‘Abdou Diouf, président alors depuis 1981. Cette législation prévoyait le transfert de pouvoirs considérables aux autorités locales dans le cadre de la décentralisation et de la dévolution. La loi promouvait d’ailleurs la participation citoyenne et la planification régionale. Sa rhétorique s’appuyait sur le principe de subsidiarité, pour rapprocher le gouvernement de la population. Qui plus est, l’article 58 de la loi 96-07 dispose que nulle fonction ne doit être transférée aux autorités locales sans le transfert de ressources adéquates, provenant de recettes de certains impôts, de subventions, sinon des deux. Dans le cas de Dakar, il n’en a jamais été ainsi. L’Etat refuse, de manière systématique, de transmettre les fonds aux municipalités : à celles surtout entre les mains de l’opposition. Des transferts financiers erratiques, arbitraires, manquant de transparence, font partie intégrale de la décentralisation sénégalaise et décrédibilisent gravement l’objectif déclaré.

A Dakar, la prédominance continue de l’Etat trouve son incarnation administrative dans le préfet du département de Dakar – nommé par le gouvernement – et son incarnation fiscale dans le percepteur, qui constitue le comptable externe de la ville. Ces deux individus ont les pouvoirs nécessaires pour intervenir dans l’administration de la ville, ainsi que la capacité de la superviser. En revanche, la Ville de Dakar ne dispose d’aucun mécanisme qui oblige le gouvernement central à payer ses dus. Mises en place par l’Etat, plusieurs initiatives visant à augmenter les finances des autorités locales ont échoué. Pour la période de 2008-2012, la moyenne annuelle des indemnités versées à la Ville de Dakar – apparemment pour financer les fonctions que lui transférait la décentralisation – représentait la somme modique de 322 millions FCFA (650 000 $US)3 , soit moins de 1 % du budget municipal.

Sans le transfert régulier des ressources auxquelles elle a légalement droit, la Ville de Dakar n’est pas en mesure de s’acquitter de l’ensemble des responsabilités – importantes, d’ailleurs – qui lui sont dévolues.4 Les possibilités d’augmenter les ressources en améliorant la perception locale de revenus sont limitées parce que la fiscalité est hautement centralisée. Si la Ville a réussi à augmenter ses propres recettes de presque 40 % dans la période de 2008–2012, elle ne contrôle que moins de 10 % du total de ses revenus, qui proviennent pour la plupart de frais perçus pour les pancartes publicitaires. Après vingt ans, la décentralisation n’a pas encore apporté ce qu’elle avait promis au début aux résidents de Dakar.

Le cadre de la décentralisation crée un chevauchement important des systèmes de gouvernement local et national. Alors que leurs relations au quotidien se caractérisent par l’harmonie, il se produit fréquemment une « confusion de pouvoirs » qui complique et qui contrecarre la planification et l’administration locales. Des ambiguïtés dans la définition des responsabilités respectives forment un obstacle de taille à une collaboration plus efficace entre les gouvernements central et municipal à Dakar.

Les investissements de Dakar

Khalifa Sall s’était promis que le conseil municipal devrait prouver sa crédibilité quant à la compétence de son administration, que les limites financières ne réduiraient pas le conseil à l’inaction. « Dès le début, nous avons pris la décision d’investir les ressources de la Ville – telles qu’elles étaient – dans toutes les fonctions dont nous sommes responsables : les fonctions sociales, culturelles, sportives, et autres », nous a affirmé le maire.6 Parmi les premières initiatives dans le cadre de l’éducation, on comptait un programme de distribution de lait, des uniformes scolaires gratuits et des ordinateurs pour les écoles primaires, et des examens médicaux gratuits – chaque année – pour les enfants. Et dans le cadre des grands programmes de travaux publics, appuyés par le programme des « bénévoles dakarois » visant les jeunes sans travail, on a entrepris par exemple l’amélioration du revêtement des routes et le désensablement du centre-ville.

Sall a cherché des fonds de toutes parts. Dans le but d’accéder aux prêts et à d’autres fonds externes, Dakar avait été évaluée dans le cadre d’un examen du programme « Dépenses publiques et responsabilité financière » (PEFA) : cela l’a aidé dans sa mission.7 Première entité sous-nationale à se faire évaluer dans ce programme, la performance de la Ville de Dakar était mixte. Selon l’examen, Dakar « [n’avait] pas de programme de réformes, encore moins de programme pour gérer les finances publiques »8 L’on a souligné des insuffisances dans la planification et dans les prévisions. Cependant, cet examen PEFA a initié certaines améliorations : par exemple, dans la comptabilité, l’on publiera par la suite les audits et les évaluations.b

Des réformes ont permis à Dakar de faire des emprunts. En 2008, l’Agence Française de Développement a fait un prêt concessionnel de 10 millions d’euros (16 millions $US) sur 20 ans pour améliorer l’éclairage des rues. Avec Sall à la barre, on a aussi accordé des prêts commerciaux : 3,6 milliards FCFA (7,2 millions $US) venus d’Ecobank pour reconstruire un marché au centre-ville ; de la Banque Islamique du Sénégal, un prêt de 2,1 milliards FCFA (4,1 millions $US) sur trois ans pour des feux de circulation ; et de la Banque Ouest-Africaine de Développement, 9,7 milliards FCFA (19,5 millions $US) pour la réfection des routes et des places de parking. A ce jour, le service de la dette et les remboursements de prêt s’effectuent à temps.

« L’expérience des investissements dans les feux de circulation, les routes, les chaussées, nous a beaucoup appris », dit Khalifa Sall. « Nous avons décidé, après, d’entreprendre un programme pour réduire réellement la pauvreté. » On a planifié d’importants investissements dans une zone commerciale de 10 ha à Petersen, à l’extrémité nord de la municipalité de Dakar-Plateau. Dans une stratégie de réorganisation du centre-ville, l’on a prévu un nouveau marché de 13 milliards FCFA (26 millions $US) pouvant abriter au moins 4 000 des marchands ambulants et commerçants de Dakar. Démarche controversée, le maire avait interdit le commerce de rue – après de nombreuses séances de consultation auprès des associations de commerçants pour leur expliquer ses projets et pour entendre leurs objections. Malgré l’objectif de « réduire la pauvreté », visant d’ailleurs les marchands de rue, les relations entre les autorités et les marchands ambulants restent volatiles, parfois même acrimonieuses.

Le regroupement des marchands ambulants du centre-ville dans un seul endroit avait un atout supplémentaire : la décongestion du Plateau et de la partie la plus au sud de la péninsule. Selon la Banque Mondiale, la congestion routière à Dakar, aggravée par le commerce de rue, coûterait 108 milliards FCFA (216 millions $US) en perte de revenus, chaque année. En diminuant sa dépendance financière au gouvernement central, le programme visait d’ailleurs à générer des revenus dont la ville avait grand besoin. Le défi consistait à trouver les fonds nécessaires : 20 milliards FCFA (40 millions $US). En 2012, les revenus d’exploitation de Dakar s’élevaient à 36,5 milliards FCFA (73 millions $US) ; ses dépenses en capital étaient de l’ordre de 11 milliards FCFA (22 millions $US).

Faire son marché
 
C’est dans le contexte d’une immense agitation politique – la course aux élections présidentielles 2012 – la course aux élections présidentielles 2012 – que Sall établit ses projets. « D’un jour à l’autre, le maire ne savait pas s’il allait être jeté en prison [par Wade], ou si les maires seraient tous abolis », affirme Khady Dia Sarr, directrice du « Dakar Municipal Finance Programme » (DMFP), équipe constituée au sein du bureau du maire et composée de quatre cadres sénégalais et d’un expert externe.9 Malgré la possibilité de sources alternatives, l’émission d’une obligation municipale comportait des attraits indéniables. Elle permettrait à la Ville de Dakar d’emprunter une somme importante sous forme de montant forfaitaire, à un taux inférieur à celui des emprunts commerciaux. Elle serait d’ailleurs le signe de sa détermination à ne pas dépendre des financements concessionnels, ainsi que la preuve de sa confiance dans ses capacités à gérer er des investissements générateurs de recettes. Selon Dieynabo Dabo, la coordinatrice du DMFP, les préparatifs de l’émission d’une obligation représentaient « un processus tout nouveau » pour le maire, le DMFP, et toute l’administration municipale. « Personne ne savait au juste ce qu’il fallait faire. » Ayant finalisé ses projets au mois de mai, le DMFP a été lancé officiellement en septembre 2012.bb

Dans la plupart des pays d’Afrique, les entités sous-nationales n’ont pas droit aux emprunts. Peu nombreuses sont les municipalités pouvant établir leur solvabilité en fonction des flux de trésorerie, un profil d’endettement, ou des antécédents de crédit suffisants pour dissiper les craintes des investisseurs concernant les remboursements. Rares sont celles pouvant démontrer des antécédents adéquats de planification stratégique, de gestion des dettes, ou d’administration compétente. A cet égard, Dakar ressemblait à la plupart des capitales d’Afrique. Ses revenus auto-générés, comme ses ressources, étaient réduits ; son budget dépendait énormément du gouvernement ; ses capacités techniques restaient limitées. En revanche, après l’examen PEFA, la Ville avait établi une Direction de la Planification et du Développement Durable (DPDD) capable de démontrer que Dakar avait une stratégie de développement crédible ; de plus, elle pouvait faire preuve d’une gestion des dettes compétente.

Les préparatifs de l’émission d’obligations municipales sont d’une importance primordiale. Vue la méfiance des membres des services de planification, d’administration, et de finances municipaux, il fallait qu’ils se sentent pleinement consultés et intégrés dans le processus. Dans ce but, l’on a institué un nouveau conseil consultatif englobant la société civile, des représentants des entreprises, des chefs religieux. L’on a mis en œuvre un nombre d’initiatives visant une professionnalisation de l’administration de la ville et une amélioration de l’expertise : du DPDD, pour approfondir le plan stratégique de Dakar ; de la Direction Générale des Finances, pour maximiser la perception des recettes ; de la Direction du Développement Urbain, pour aider à la conception et à la construction du projet d’investissements.

Il fallait aussi savoir comment s’y prendre avec le cadre réglementaire : il était nécessaire que l’obligation respecte les exigences de l’autorité émettrice, le Conseil Régional de l’Épargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) de l’UEMOA, dont le siège est à Abidjan (Côte d’Ivoire). Au début de 2014, une équipe de la Banque Mondiale a fait le suivi de l’examen ; elle a donné des conseils à la Ville sur la mise en œuvre d’améliorations supplémentaires dans la gestion des recettes fiscales. La réussite d’une émission dépend d’un projet d’investissements crédible, des communications proactives, et du choix du bon moment.

Dakar évaluée… puis bloquée
 
Dès le début, l’on a demandé à l’agence de notation internationale Moody’s de fournir une cote de crédit confidentielle pour la Ville de Dakar. Pour ce faire, l’on a évalué par exemple son aptitude à prendre des décisions, la qualité de sa planification budgétaire, sa gestion des actifs et des créances, ainsi que la prévisibilité de ses revenus. Cette cote servirait de repère permettant de mesurer les améliorations éventuelles avant l’obtention d’une notation publique, officielle. Vu que l’obligation serait lancée dans le marché régional de l’UEMOA, c’est une agence régionale de notations – Bloomfield, basée en Côte d’Ivoire, agréée par le CREPMF – que l’on a choisie à cette fin.

En septembre 2013, après un réexamen rigoureux de ses finances, durant trois mois, Dakar a reçu une notation A3 à court terme et une notation BBB+ à long terme. Une telle cote de qualité (« investment-grade ») aurait suffit à justifier l’émission de l’obligation, selon les directives du régulateur ; cependant, la Ville a aussi fixé une garantie partielle de 50 % du montant principal de l’obligation de la part de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) pour augmenter encore plus la solvabilité de la transaction. « Le rehaussement de crédit de la part d’un garant éminent tel que l’USAID a dissipé certaines des inquiétudes concernant les défaillances dans les pires des cas », affirme Jeremy Gorelick, principal conseiller financier et technique du DMFP.

La Ville ayant reçu sa notation, il était possible de structurer l’obligation. Le montant de l’emprunt a été fixé à 20 milliards FCFA (40 million $US), à rembourser sur une période de sept ans. L’on a proposé un taux d’intérêt annuel de 6,6 %. Pendant les deux premières années, aucune partie du montant principal de l’emprunt ne serait remboursable ; cependant, l’USAID avait stipulé un fonds de réserve pour financer les premiers remboursements. Une compagnie dakaroise a été chargée d’organiser la commercialisation et le placement de l’obligation par l’entremise de 18 intermédiaires financiers parmi les huit pays de l’UEMOA. En janvier 2015, après les retards provoqués par les élections locales de 2014, le lancement de l’obligation sur la Bourse régionale des valeurs mobilières d’Abidjan, était imminent. La couverture médiatique commence alors, de même que le forum itinérant pour investisseurs. La demande des investisseurs aurait été forte ; en février, le CREPMF émit le visa autorisant l’émission de l’obligation.

Deux jours avant le jour du lancement officiel, le ministère de l’économie et des finances a suspendu l’avis de non-objection qu’il avait accordé au projet en juillet 2014. Il a souligné certaines « objections techniques », ce qui a bloqué l’émission de l’obligation. Dès lors, se soulèvent des questions, des doutes concernant : le niveau d’endettement de la Ville ; la responsabilité de l’Etat, en cas de défaillance, pour la moitié de l’émission non couverte par l’USAID ; l’appartenance politique du promoteur immobilier, bénéficiaire potentiel de la construction de la nouvelle zone à Petersen ; la légalité de l’émission au regard de l’Acte III de la décentralisation. Le 5 mars, CREPMF retire le visa autorisant l’obligation.

Khalifa Sall déclarera que rien n’avait changé depuis la décision du gouvernement permettant l’entreprise du processus. Le préfet et le percepteur – nommé par le ministère de l’économie et des finances – avaient approuvé la légalité budgétaire et générale de l’émission. Bien des alliés du maire voyaient le blocage comme une attaque ad hominem contre lui. Lors des élections locales de 2014, il avait battu la première ministre, Aminata Touré, candidate nommée par le gouvernement pour le déloger et s’assurer le contrôle de la capitale. Ayant gagné son deuxième mandat de maire, la possibilité qu’il mène une campagne présidentielle contre Macky Sall se révélait plus probable : l’influence de la politique nationale sur la gestion de la capitale sénégalaise se voyait confirmée de nouveau.

Financer l’urbanisation de l’Afrique

A ce jour, la rapide urbanisation ne constitue pas un moteur clé de la croissance économique en Afrique subsaharienne. Elle se caractérise par : la prolifération de bidonvilles non planifiés et dénués de services essentiels ; l’explosion du chômage chez les jeunes ; l’escalade dans la dégradation et les risques environnementaux. En général, les projets du gouvernement ne tiennent pas compte de la grande majorité des résidents de la plupart des grandes villes, ni de leur activités économiques informelles, dont dépend un avenir plus prospère. Il existe une insuffisance chronique de financement urbain.

Selon une étude de 2012, le déficit d’investissements municipal d’Afrique aurait été de 25 milliards $US chaque année : « Malgré ce besoin pressant, la plupart des gouvernements locaux d’Afrique ont un accès restreint aux marchés des capitaux et ne disposent pas de finances du secteur privé pour les infrastructures. »10 La diversification des finances est d’une nécessité urgente. Les grandes villes d’Afrique ne peuvent plus vivre en dépendant d’indemnités inadéquates du gouvernement central ou de financements concessionnels (par donation) qui sont limités. Une plus grande autonomie financière est essentielle. Le rôle primordial des gouvernements locaux dans la réalisation des Objectifs de Développement Durable (ODD) a été reconnu dans le Programme d’Action d’Addis Ababa de 2015 ; en octobre 2016, ce rôle sera souligné au sommet mondial Habitat III.

Dakar a fait preuve d’une approche innovatrice devant ses exigences de financement. Dirigée par un maire dynamique, compétent, la tentative de faire d’importants investissements pro-pauvres, générateurs de revenus, financés par une obligation municipale, a beaucoup de leçons à enseigner à d’autre villes. Le DMFP était bel et bien une initiative locale. Les préparatifs de l’émission obligataire n’ont pas nécessité une armée de technocrates externes ; il a suffi d’un noyau d’administrateurs municipaux compétents, appuyés si nécessaire par des institutions externes de financement du développement. Il a fallu que certains services municipaux améliorent l’exécution de quelques fonctions de base : la planification, la communication, la collaboration ont servi dans ce but. En amenant la Ville au point de lancer son obligation, le DMFP a aussi souligné le potentiel du renforcement des finances municipales en Afrique.

Il y a une grande marge d’amélioration dans l’administration fiscale par ou au nom des villes, dans la génération des recettes, et dans le contrôle des coûts. Par exemple, à Dakar, l’administration municipale a facilement amélioré la collecte inefficace du gouvernement central des recettes locales, en vertu d’une entente de partage de revenus ; les impôts fonciers restent gravement négligés comme source de revenus municipaux.11 Les marchés obligataires régionaux existants constituent les bases de l’émission obligataire municipale et étatique pour les investisseurs africains en monnaies locales. Toutefois, il serait possible de les renforcer à l’aide d’une industrie de notation de crédit intérieur qui soit plus développé, plus abordable. Un développement du cadre réglementaire des marchés obligataires régionaux entraînerait une hausse dans la confiance des investisseurs, pour favoriser la mobilisation intérieure de plus nombreux actifs financiers d’Afrique.

Les ressources humaines et économiques de l’administration municipale de Dakar n’excèdent pas celles de la plupart des capitales africaines. Ses antécédents financiers n’étaient pas parfaits. Or, la Ville a réussi à construire un argument convaincant de sa solvabilité et à élaborer une transaction bancable qui dépassait de loin les ratios standard du service de la dette pour municipalités. Ces facteurs, avec la garantie de l’USAID, ont attiré un groupe d’investisseurs prêts à s’y engager. En décembre 2014, le DMFP a reçu le Prix Guangzhou, établi en 2012 par l’CGLUA et la ville de Guangzhou. Le projet de Dakar était le seul de l’Afrique parmi les 259 entrées soumises.

A  l’image de bien de capitales, Dakar se compose en fait de deux cités. C’est la volte-face du gouvernement central, au dernier moment, qui a bouleversé l’émission de l’obligation : ce qui souligne que Dakar est un prix politique farouchement disputé, tout en constituant le centre tristement sous-financé et le cœur de l’activité économique du Sénégal. Cette dualité représente une barrière importante au développement socio-économique de beaucoup de capitales du monde. Cependant, en Afrique, la nécessité de la contourner est particulièrement pressante. Pour que l’urbanisation devienne un moteur du développement, il faudra prioriser la collaboration et le développement avant les partis politiques – passage complexe et tendu, difficile à réaliser partout.

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1. Selon CGLUA, les dépenses des gouvernements locaux dans la plupart des pays d’Afrique constituent moins de 10 % des dépenses nationales, contre la moyenne de 25 % des pays OCDE.
2. Diop, Amadou, « Dakar », chapitre 3, in Bekker, Simon (éd.), Capital Cities in Africa, HSRC Press, 2011, p.42.
3. Comme moyenne approximative pour la durée (2012-14) du Programme des Finances Municipales de Dakar, le taux d’échange utilisé ici sera de 500 FCFA pour 1 $US.
4.La Ville a des responsabilités dans neuf domaines : la gestion du patrimoine, de l’environnement, et des ressources naturelles ; la santé, la population, et l’action sociale ; sports et loisirs pour les jeunes ; la culture ; l’éducation ; la planification régionale ; la planification urbaine et le logement.
5. Diop, Amadou, op. cit., p.40.
6.Les citations dans le texte proviennent d’entretiens à Dakar en mai/juin 2014, sauf indication contraire.
7.L’examen PEFA a été financé par le Mécanisme consultatif sur les infrastructures publiques et privées (PPIAF) – fonds multidonateur. Le cadre PEFA établit 31 indicateurs principaux ; il a été instauré en 2005 pour évaluer les gouvernements centraux.
8.Ville de Dakar: Evaluation de la Gestion des Finances Publiques Municipales: Rapport PEFA sur les performances, 30 janv. 2009, p. 68.
9. A l’automne 2011, le DMFP a obtenu une subvention de 500 000 $US de la Fondation Bill & Melinda Gates pour réaliser l’évaluation de faisabilité. Un engagement ultérieur de la Fondation fournira jusqu’à 4,9 millions $US. Il fallait que le projet génère des revenus et qu’il profite aux pauvres en zones urbaines, selon une exigence spécifique. Le PPIAF, le’USAID, l’AFD, et Cities Alliance ont eux aussi fourni de l’aide.
10.Paulais, Thierry, Financing Africa’s Cities: The Imperative of Local Investment, World Bank and Cities Alliance, 2012.
11. V. Monkam, Nara & Moore, Mick, « Les avantages de l’impôt foncier pour l’Afrique », Africa Research Institute, janv. 2015.