Kieran Holmes est Commissaire général de l’Office burundais des recettes (OBR), une autorité semi-autonome de perception d’impôts. Il est également coauteur d’un rapport, récemment publié par Africa Research Institute (ARI), exposant en détail les réformes de collecte d’impôts et d’administration qui ont étés entrepris dans un des plus pauvres pays d’Afrique (disponible ici en français ou en anglais). Dans cet entretien avec Jonathan Bhalla, Directeur de recherche d’ARI, Kieran examine comment l’OBR est devenu une institution modèle, bien qu’elle reste exposée à une incertitude financière malgré ses multiples succès.
1. Quelle était la situation en termes de collecte et administration de recettes au moment où la guerre civile a pris fin ?
Elle était assez mauvaise. En 2009, le gouvernement n’a récupéré que 301 millions BIF, (l’équivalent de 124 millions de dollars). La collecte de recettes était fragmentée entre deux administrations séparées. L’une étant le département d’impôts, et l’autre le département de douanes. Les deux appartenaient au Ministère des Finances, et les deux étaient réputées pour leur niveau de corruption. Il n’y avait pas de coordination ou de partage d’informations. De ce fait, très peu de revenu pouvaient être recouvert.
2. Qu’est-ce qui a conduit à cette nouvelle approche de créer un nouvel organe fiscal semi-autonome au Burundi ?
L’adhésion burundaise à la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) a été décisive ici. Or, le gouvernement burundais savait qu’il devait harmoniser son administration d’impôts avec d’autres états-membres de l’EAC pour que le projet d’intégration et de marché commun deviennent une réalité. La création d’une autorité semi-autonome de perception (ASAP) était un moyen pour atteindre à ce but.
En outre, le gouvernement avait besoin de recueillir plus d’argent sur le plan interne. Ils savaient que les ASAP avaient connu de bons résultats en Afrique de l’Est, et qu’elles étaient capables de générer des revenus élevés. Surtout aux débuts de leur création.
“La première chose que nous avons fait c’était de changer l’intégralité du personnel”
3. Quelle est le facteur le plus important pour la collecte de revenus dans un pays comme le Burundi ?
C’est une question de retour aux bases. Quand nous avons créé l’Office burundais des recettes (OBR), la première chose que nous avons fait c’était de changer l’intégralité du personnel, et de les former suivant les meilleures pratiques internationales, notamment sur l’administration de la collecte d’impôts. Nous avons recruté 425 nouvelles personnes, sur les 9000 candidatures que nous avons reçu.
A l’OBR nous avons établi les meilleures normes possibles dès le début. Le personnel est recruté sur la base de contrats axés sur les résultats, et les employés peuvent être licenciés en cas de corruption ou de sous-performance. Dans l’administration précédente il était impossible de faire la distinction entre personnel malhonnête et personnel incompétent.
4. Les exemptions représentent environ 20 pourcent du revenu perçu par l’OBR. Quel est l’impact de cela ?
Il y a trois sortes d’exemptions. Premièrement, il y a les exemptions qui sont accordées sur la base du droit international, ou des accords de commerce bilatéraux entre le Burundi et d’autres pays. La deuxième sorte, ce sont les exemptions qui ont étés accordées sur la base de codes d’investissement, régi par l’Agence burundaise de promotion d’investissements. Enfin, il y a les exemptions qui sont inclus dans des contrats entre le gouvernement et des investisseurs privés.
Ce dernier type d’exemptions est la plus dangereuse, car il n’y a pas de raison d’être purement économique derrière ces exemptions discrétionnaires. L’affirmation que de telles mesures d’incitation accélèrent la création d’emploi est empiriquement infondée. Par ailleurs, rien ne démontre que les investissements étrangères, qui ont étés faites depuis 2010, ont été effectuées grâce à ces exemptions. Il y a un véritable danger que l’Etat donne quelque chose sans rien avoir en retour.
5. Pourquoi était-il important de changer le fonctionnement des douanes au Burundi ?
Une des fonctions de l’OBR c’est la facilitation du commerce. Approfondir l’intégration est une des priorités du gouvernement burundais, depuis que le pays est devenu membre à part entière de l’EAC. L’OBR poursuit activement cet objectif, cherchant à réduire le temps nécessaire pour faire passer des biens par les postes frontières et par le port de Bujumbura.
Un des défis les plus importants de l’OBR a été de combattre la corruption dans les points de passage. L’introduction des frais douaniers se fait en temps réel et par un certain nombre d’étapes, durant lesquelles le potentiel de corruption augmente. En plus, beaucoup de gens ne comprennent, tout simplement, pas pourquoi ils devraient payer des droits de douanes ou une TVA, et se plaignent virulemment des pots de vin au points de contrôle de police, mais aussi d’autres formes d’extorsion commis par les fonctionnaires et les agents.
Les douanes sont généralement une affaire compliquée, mais le sont d’autant plus depuis l’adhésion à l’EAC. Les biens en provenance de la région de l’EAC sont exemptés des droits douaniers, mais la TVA s’applique toujours. Les produits en provenance d’en dehors de l’EAC sont soumis à des droits de douanes, sauf s’il y a un arrangement spécial en place, par exemple une zone de libre-échange ou un accord de commerce bilatéral.
6. Qu’est-ce qui peut être fait pour renforcer l’intégration régionale en termes de collecte d’impôts ?
Nous avons besoin d’harmoniser les impôts. La base imposable ainsi que les taux de taxation de chaque pays devraient être plus ou moins les mêmes. Par exemple, le contexte fiscal au Burundi devrait être similaire à celui du Kenya. Ceci empêche « la course vers le bas » ; un phénomène où les pays se font la concurrence pour obtenir des investissements en réduisant constamment les taux d’imposition. En plus, il est utile d’avoir une administration d’impôts qui est la même pour tous les pays, et c’est ce que le Burundi a cherché à faire en créant l’OBR.
7. Quelles sont les difficultés associées avec l’harmonisation des impôts ?
Ce n’est pas facile, encore moins quand les négociations se déroulent entre cinq gouvernements nationaux. Le problème c’est qu’au sein de l’EAC les structures économiques des pays-membres peuvent être très différentes. A titre d’exemple, l’économie d’un pays peut être dépendante de l’extraction des ressources naturelles. Ces pays-là auront un intérêt fort de taxer leurs rendements du capital investi, à savoir les dividendes, les intérêts, les redevances (ou royalities), et les frais de gestion. Cependant, il se peut qu’un autre pays veuille se lancer dans le secteur minier, et cherchera à offrir des taux d’imposition s’approchant le plus du zéro possible.
8. De quelle façon l’OBR cherche-t-il à augmenter les revenus futurs ?
Dans les années à venir, le secteur minier serait une importante source de revenus. En octobre 2013 le Burundi a passé un nouvel code minier. A l’OBR nous croyons que ce secteur pourra générer beaucoup de revenus pour la caisse de l’Etat, mais nous essayons également d’améliorer la collecte d’impôts dans les secteurs informels. Par exemple, nous avons lancé une campagne cherchant à motiver tous les PME à s’enregistrer en tant que contribuables. Au Burundi certaines entreprises privées prétendent être plus petites qu’elles le sont dans le but d’échapper à certaines obligations d’impôts.
9. Existe-t-il un lien entre collecte et administration des impôts plus professionnalisée, et la transparence et responsabilité d’un gouvernement ? Si la taxation est plus transparente, peut-elle servir à titre d’exemple aux autres branches du gouvernement ?
Je suis convaincu que c’est le cas. Dans mon expérience, l’OBR a eu un impact visible – et positive – pour d’autres agences gouvernementales. Pour certaines personnes, l’OBR est considéré en tant qu’institution « model ». J’espère qu’il y aura un temps où tout le monde dira, « ok, je veux faire mieux ».
10. Pourquoi pensez-vous que le soutien aux autorités comme l’OBR devrait être une priorité pour les bailleurs de fonds dans les années à venir ?
Un soutien constant aux offices des recettes en Afrique a produit une augmentation considérable des revenus gouvernementaux. Burundi n’est qu’un exemple. Cependant, pour continuer à construire sur ces exploits, l’OBR a besoin d’une stabilité financière pour prendre ses propres décisions, comme ce qui a été défini dans son Plan stratégique 2013-2017. Ces objectifs ont été définis localement, en collaboration avec le gouvernement burundais, et ont été bien reçu par la communauté internationale.
Ma plus grande crainte, actuellement, est que l’OBR ne sera pas capable de se développer avec assez d’autonomie, pour poursuivre ces besoins et plans stratégiques à cause de l’instabilité financière qui entoure l’organisation. A ce moment même, la deuxième étape de soutien à l’OBR n’a pas été approuvée. La tranche actuelle de financement se termine en 2014. Cette incertitude est un vrai souci pour toute l’organisation.
Un soutien à long-terme apporté aux autorités de recettes représente une énorme plus-value pour les bailleurs de fonds, et l’OBR est l’exemple parfaite. Plus les gouvernements des pays en développement sont financièrement sécurisés, moins ils dépendraient des bailleurs de fonds pour financer ses services sociaux et son développement d’infrastructures. Assurément, ceci devrait être l’objectif de toute sorte d’aide internationale. N’est-ce pas ?
Pour aller plus loin, lisez l’intégralité du rapport, Pour l’Etat et le Citoyen : la réforme de l’administration fiscale au Burundi
écrit par Jonathan Bhalla, Directeur de recherche
traduit par Olivier Milland, Assistant de Communication et de recherche