En mai 2013, la banque anglaise Barclays a annoncé qu’elle fermait les comptes de tous ses 165 clients, sauf 19, qui opèrent dans le secteur de transferts de fonds. Comme d’autres banques anglaises, telle que la HSBC, s’étant déjà considérablement retiré du secteur, l’effet de cette décision a été amplifié. Avec très peu d’exceptions, les opérateurs de transfert de remises se sont retrouvés dans l’impossibilité de trouver des services bancaires ailleurs – une condition pour qu’ils puissent continuer à fonctionner et rester en conformité réglementaire pour les plus grands.
S’il y a bien des conséquences pour d’autres receveurs de remises dans beaucoup de pays dans le monde, la menace contre le tissu économique des régions somaliennes est particulièrement grave. Sans système bancaire fonctionnel, il n’y a pas d’alternatif aux agents de transfert de fonds (ATF) pour transférer des fonds vitales de la diaspora somalienne.
Une injonction provisoire, de la mi-novembre dernière, interdisant Barclays à fermer le compte de Dahabshiil, le plus grand ATF opérant dans la région somalienne, est un soulagement à court terme. Le gouvernement britannique a établi le Groupe de travail pour des canaux sécurisés (Working Group on Safer Corridors), qui est chargé de trouver des moyens à long-terme pour sécuriser le flux d’argent à la région, bien qu’une solution intermédiaire reste tout de même pressant.
Pour une meilleure compréhension des implications de ces faits, voici les 10 points à retenir.
1. Les conséquences seront lourdes. L’argent envoyé par la diaspora somalienne offre une aide financière essentielle pour les 41% de la population des territoires somaliens, selon la dernière étude de référence. Les remises servent principalement à couvrir des dépenses basiques de tous les jours comme de l’achat de nourritures, payer les soins ou l’éducation. Il est donc indispensable de préserver ces transactions pour assurer la subsistance des destinataires de cette région particulièrement vulnérable.
2. Dans les régions somaliennes il n’y a pas d’alternatif. Malgré le fait que la décision de Barclays affecte bien d’autres pays destinataire de remises, les régions somaliennes sont davantage touchées puisqu’elles manquent de système bancaire formel. Suite au collapse de l’état somalien en 1991, les remises sont devenues d’autant plus primordiales pour le fonctionnement de la région. Le seul moyen d’envoyer des sommes importantes depuis l’étranger, de manière légale, transparente, sécurisée et peu cher, est par l’intermédiaire des ATF. De ce fait, ce sont elles qui composent le système bancaire somalien.
3. Quelconque réduction des flux de remises aura un impact à plusieurs échelles. Les ATF ne se limitent pas aux individus seulement, mais travaillent également avec des bailleurs de fonds multilatéraux et des ONG. En plus de faciliter l’aide humanitaire, les ATF forment l’épine dorsale de l’économie locale, et sont les intermédiaires du financement au commerce et de l’investissement.
4. Les ATF ont besoin des banques pour fonctionner. Depuis plusieurs années, maintenant, les ATF principaux opérant au Royaume-Uni ont été encouragées d’accepter des réglementations plus restrictives et un contrôle plus dur. Tout ATF gestionnant plus de 3 millions d’Euros par mois doit être approuvé par le Financial Conduct Authority (l’Agence britannique de la Conduite Financière), et enregistré comme institution autorisé de paiements (IAP). Pour garder leur licence les IAP sont obligés d’avoir un compte en banque, ce qui a mis nombreux ATF dans l’embarras, puisqu’ils ont la qualification d’IAP mais ont perdu leur mécanismes bancaires. Même les petites institutions de paiement (régulées), gérant moins de 3 millions d’Euros par mois requièrent des services bancaires pour administrer de l’effectif en vrac ainsi que des services de paiements internationaux. Des services qui sont fourni par les banques.
5. Le financement des réseaux terroristes et le blanchiment d’argent n’est pas vraiment la question. Après le 11 septembre 2001, le secteur de remises est tombé sous un contrôle renforcé. La crainte que les remises soient utilisées pour financer le terrorisme était un facteur clé dans la décision des banques américaines de fermer al-Barakaat, le plus grand opérateur de remises somalien en 2001. Cependant, le rapport de la Commission du 11 septembre (chargé d’étudier les circonstances autour des attentats de d’Al-Qaeda en 2001) a conclu que les fonds utilisés dans les planifications de l’attaque étaient canalisés par une banque américaine, et non d’une ATF somalien.
Au Royaume-Uni, aucune IAP a encore été accusée de blanchiment d’argent ou de financement de réseaux terroristes par les autorités réglementaires ; et ce malgré plus de réglementation depuis la crise financière de 2008. En empêchant les organisations agréées de fonctionner, les émetteurs d’argent se verront obligés d’utiliser des canaux non-réglementés ou illégaux, au-delà de la portée des autorités financières.
La stratégie, adoptée par les banques britanniques, de clairement réduire leur exposition aux risques a impliqué leur appropriation des pouvoirs réglementaires, de façon intentionnel ou non ; une mesure qui s’est avéré contre-productive pour combattre le financement des réseaux terroristes et le blanchiment d’argent en général. En outre, la préférence de ne traiter qu’avec de très grandes ATF multinationaux n’est pas une panacée. Par exemple, en 2010 Western Union a accepté de payer 94 millions de dollars pour résoudre une enquête, datant de dix ans auparavant, sur le blanchiment d’argent par les agents de la compagnie au Mexique.
6. Ce ne sont pas des clopinettes. Des quatre coins du monde, plus de 1,2 milliards de dollars sont remis par an aux régions somaliennes. Ce chiffre représente plus de la moitié du revenu national brut de la Somalie. En plus, cette somme dépasse l’aide international à la région qui atteignait une moyenne de 834 millions de dollar entre 2007 et 2011.
7. Le gouvernement britannique peut jouer un rôle vital. Par sa valeur, le Royaume-Uni et les Etats-Unis sont les deux premières régions-émetteurs de remises aux régions somaliennes. Quelque 26 pourcent des remises proviennent du Royaume-Uni. Par conséquent, le gouvernement britannique peut jouer un rôle central, s’il coopère avec d’autres gouvernements nationaux, le G20, des autorités réglementaires, banques et ATF, pour développer des mesures durables et peu chers pour maintenir le flux de remises à la région, ainsi que d’autres pays.
Lors d’un débat parlementaire, au Westminster Hall (Londres) le 22 janvier 2014, Sajid Javid, Secrétaire de finance au Trésor britannique, a décrit le Royaume-Uni comme « un leader dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des réseaux terroristes ». Il a également reconnu l’importance des remises en tant que moyen de subsistance à des millions de personnes partout dans le monde. Le gouvernement britannique doit redresser ce déséquilibre existant entre la régulation et l’inclusion financière.
8. L’argent mobile a une place, certes, mais n’est pas une solution magique. Le marché d’argent mobile africain est le deuxième au monde après celui d’Asie. Bien que le marché d’argent mobile est en pleine croissance dans les régions somaliennes, il reste restreint à quelques zones, principalement urbaines, où il fonctionne comme un « portefeuille mobile », qui est essentiellement utilisé comme mode de paiements, plutôt que recevoir ou envoyer de l’argent à l’international. A présent l’argent en liquide continue à dominer l’économie somalienne, ce qui indique que l’argent mobile n’est pas une solution pour maintenir les flux de remises, ni à court-terme ni au moyen-terme.
9. La confiance est un élément primordial. Nombreux canaux de remises envers les régions somaliennes sont soumis à un degré élevé d’autorégulation, et les ATF sont uniquement capables de continuer de fonctionner grâce à leur capacité de participer, de façon honnête et fiable, dans un réseau d’échanges. De la même façon, fermer les plus grands ATF, en obligeant les personnes à transférer de l’argent par des canaux plus réduits, et moins connus, c’est ignorer les liens forts entre émetteurs d’argent et des ATF spécifiques ; des liens qui se tissent sur la base d’affiliation clanique ou allégeances régionales, mais également sur la qualité des services où la confiance est primordiale.
10. On doit impérativement trouver une solution intérimaire. L’injonction, interdisant Barclays à fermer le compte de Dahabshiil offre un moment de répit, mais seulement jusqu’en octobre 2014 au plus tard. Pendant que le Groupe d’action sur les remises transfrontalières, et son Groupe de de travail sur des corridors sécurisé, préparent une solution à long-terme il y a un besoin urgent d’assurer la survie des ATF somaliens principaux et le flux, ininterrompu, de remises à travers de canaux légitimes. Sajid Javid a déclaré, durant le débat de Westminster Hall, que le gouvernement britannique ne peut pas intervenir dans les affaires des banques anglaises. Le député Stephen Doughty, Secrétaire du Groupe Parlementaire Multipartite (APPG) pour la Somalie et le Somaliland, a poliment répondu que c’était du non-sens. Pour qu’une solution, intérimaire, ou à long-terme puisse être trouvé, il faut qu’au moins une banque, ou plusieurs d’ailleurs, soient « persuadé » pour jouer le jeu.
écrit par Hannah Gibson, Chercheuse en politiques, Africa Research Institute
traduit par Olivier Milland
Pour aller plus loin (en anglais):
Somali money matters – an update on the remittances saga
Somalia, remittances and unintended consequences: in conversation with Abdirashid Duale
Storify Summary of Westminster Hall debate on the 22nd of January, 2014
To view this article in English: Somali remittances: 10 things you need to know